Épisode 8 - Il n'y a pas de question stupide, juste des gens stupides
C’est pas toujours évident d’affronter le regard des autres quand on est une grosse feignasse au chômage. Il y a ceux qui vous soutiennent, bien sûr, mais pas uniquement. Il y a aussi ceux qui ont pitié. Il y a ceux qui vous jugent. Et puis il y a les autres. Les prix Nobel. Vous les reconnaissez facilement : après avoir parlé avec eux, vous vous demandez comment cela se fait qu’ils aient un boulot, et pas vous. Exemple de discussion avec ces gens qui ne sont pas lumineux, mais qui sont de bons conducteurs de lumière* :
- Tu bosses en ce moment ?
- Malheureusement non, je me suis fait licencier.
- Ah mince ! Ça fait longtemps ?
- Ça fait 1 mois / 6 mois / 1 an (rayez la mention inutile)
- Ah. Mais… tu cherches autre chose ?
Et là, petite pause. Oui, la pause est nécessaire parce qu’il faut faire très attention à ce qu’on va répondre. La tentation première serait de lancer un « non non andouille, je reste chez moi à ne rien foutre. C’est tellement bon de me dire que, grâce aux allocs, je suis payé pour me gratter les morbacks. »
Socialement, c’est pas l’idéal. Pourtant, ce serait compréhensible de votre part. Il n’y a rien de plus énervant que ce raisonnement consistant à dire qu’une personne est au chômage parce qu’elle ne souhaite pas travailler. Remarque énervante, réaction compréhensible… mais à éviter.
Au lieu de cela, il faut évidemment répondre que oui, vous cherchez très activement, mais que ce n’est pas chose aisée en ce moment (la crise, tout ça), d’autant plus que votre secteur est totalement bouché,...etc.
Le tout sur le même ton que vos précédentes répliques afin de ne pas laisser paraître une éventuelle désapprobation liée à la remarque de votre interlocuteur (parfois, je parle bien).
Sauf que la première fois que cette question débile vous tombe dessus (parce que oui, on vous la posera plusieurs fois), vous marquez forcément un temps d’arrêt durant lequel vous vous demandez ce qui vous vaut le privilège d’avoir à répondre à cette question à la con. Ensuite, vous vous retenez d’envoyer votre interlocuteur sur les roses. Puis, enfin, vous prenez une petite voix et répondez, légèrement hésitant, « Bah… oué. »
Rassurez-vous : avec le temps, vous répondrez bien. Et vite. La panoplie complète du chômeur comprend un arsenal de réponses précises et travaillées, convenant aux questions toutes aussi stupides qu’énervantes que, fatalement, votre entourage sera amené à vous poser.
N’oubliez pas que la personne en face de vous n’est pas responsable de votre situation. Elle n’a donc pas à subir votre courroux. De plus, étant persuadée du bien fondé de son interrogation**, elle prendrait très mal une quelconque remarque et vous passeriez pour un frustré. Cette frustration se justifiant par votre situation, vous attirerez alors la pitié de votre entourage (le pauvre, c’est normal qu’il s’énerve) et les remarques désobligeantes (oué enfin, s’il répond comme ça aux recruteurs, c‘est pas étonnant qu’il ne trouve pas de travail).
Il se peut aussi que l’on vous fasse remarquer que vous pourriez faire autre chose en attendant de trouver un travail dans votre branche. Perso je vois ce qui se passe autour de moi, le « en attendant » est devenu permanent pour certains. Alors si c’est juste pour les thunes, non merci. D’autant plus que je me suis cassé le cul à faire quatre ans d’études supérieures et à me coltiner un prêt que je n’ai pas encore fini de rembourser, c’est pas pour aller empiler des palettes dans un entrepôt par -25°.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, il n’y a pas de sot métier ; mais si j’avais voulu faire des burgers, j’y serais allé directement sans passer par la case « emprunt ». J’ai choisi une voie, je m’y tiendrai. J’ai envie de faire un taf qui me plait, j’assume entièrement mes choix.
Bon, je changerai peut-être d’avis le jour où je n’aurai plus assez de thunes pour faire un petit Blackjack. On n’en est pas encore là.
Je sais, à force d’allumer tout le monde je vais finir par perdre un paquet d’amis. Mais tant que j’ai des lecteurs, je m’en fous !
Nota bene : la balle anti-stress fait également partie de la panoplie complète du chômeur. À chaque conversation de ce genre, prétextez une envie pressante, isolez-vous et torturez cette pauvre petite boule. Elle non plus n’est pas responsable de votre situation, mais au moins elle ne vous juge pas. Et elle ne peut pas se défendre.
Générique : Laurent Wolf – No stress
* Merci Sherlock Holmes.
** « Les cons, ça ose tout…etc. »